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pouvait retenir un léger sourire railleur chaque fois que Lévine arrivait à Moscou venant de la campagne où il avait quelque occupation. Mais que faisait-il au juste, Stépan Arkadiévitch ne se l’expliquait pas trop et ne s’y intéressait guère. Lévine arrivait toujours à Moscou ému, pressé, un peu gêné et agacé de sa gêne, et la plupart du temps avec une opinion tout à fait nouvelle et inattendue sur les événements. Stépan Arkadiévitch se moquait de cela et s’en amusait. De son côté Lévine en lui-même méprisait la vie mondaine de son ami, et sa situation qu’il ne prenait pas au sérieux, et souvent il l’en raillait. Mais tandis qu’Oblonskï, en homme qui sent qu’il agit normalement, se contentait de rire avec confiance et bonhomie, Lévine manifestait de la crainte et surtout de la colère.

— Il y a longtemps que nous t’attendons, dit Stépan Arkadiévitch en entrant dans son cabinet et abandonnant le bras de Lévine, indiquant par là que les dangers étaient passés. Je suis très content de te voir, continua-t-il. Eh bien ! Comment vas-tu ? Quand es-tu arrivé ?

Lévine garda le silence à la vue des visages des deux camarades d’Oblonskï qu’il ne connaissait pas ; la main surtout de l’élégant Grinévitch aux doigts blancs et effilés, aux ongles longs, jaunis et courbés du bout, et les gros brillants de sa chemise ne lui laissaient évidemment pas la liberté de penser et accaparaient toute son attention.