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sentait si mûr, il n’était pas marié, et se sentait plus loin que jamais du mariage. Il sentait maladivement, comme le sentaient tous ceux de son entourage, qu’à son âge il n’est pas bien pour un homme d’être seul. Il se rappelait comment, avant son départ pour Moscou, il avait dit une fois à son bouvier Nicolas, un paysan naïf avec qui il aimait causer : « Hein ! Nicolas, je veux me marier ! » et Nicolas avait répondu sans hésiter, comme s’il s’agissait d’un fait indiscutable : « Il y a longtemps que ça devrait être fait, Constantin Dmitritch. » Mais maintenant, le mariage était plus loin de lui que jamais. La place était prise, et quand, en imagination, il se représentait à cette place quelque jeune fille de ses connaissances, il sentait que c’était absolument impossible. En outre, le souvenir du refus et du rôle qu’il avait joué le tourmentait incessamment, comme une honte. Il avait beau se dire qu’il n’avait rien à se reprocher, qu’il n’était pas coupable, ce souvenir, à l’égal de ceux qui lui semblaient les plus honteux, le faisait tressaillir et rougir.

Dans son passé, comme en celui de chaque homme, il y avait des actes mauvais, qu’il reconnaissait pour tels et au sujet desquels sa conscience devait le tourmenter. Mais le souvenir de ces mauvaises actions ne l’avait jamais tourmenté autant que ce souvenir mesquin et humiliant. La blessure ne se cicatrisait pas et sur ces souvenirs