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ici sont toi et notre fils. Il est possible, je te le répète, que mes paroles te semblent tout à fait inutiles et déplacées ; peut-être sont-elles basées sur une erreur, en ce cas je t’en demande pardon ; mais si tu sens toi-même qu’elles ont la moindre raison d’être, je te demande de réfléchir, et si ton cœur te le dit, de te confier à moi…

Sans le remarquer, Alexis Alexandrovitch disait tout autre chose que ce qu’il avait préparé.

— Je n’ai rien à dire. Et… — fit-elle tout à coup, rapidement, en retenant à peine un sourire, — et vraiment il est temps de dormir.

Alexis Alexandrovitch soupira et sans rien ajouter passa dans la chambre à coucher.

Quand elle entra dans la chambre, il était déjà au lit ; ses lèvres étaient serrées sévèrement et ses yeux ne la regardaient pas. Anna se mit au lit, elle attendait d’un moment à l’autre qu’il se remît à lui parler ; elle le désirait et le craignait tout à la fois. Mais il se taisait. Elle attendit longtemps immobile et enfin ne pensa plus à lui ; elle pensait à l’autre ; elle le voyait, et à cette pensée elle sentait son cœur s’emplir d’une émotion et d’une joie criminelles. Tout à coup, elle entendit un sifflement nasal régulier et calme. Au commencement Alexis Alexandrovitch, paraissant gêné de son ronflement, s’arrêtait, mais à la seconde inspiration le sifflement reprenait de nouveau, régulier et calme.