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bien, quoi ? Une femme ne peut-elle pas parler à quelqu’un dans le monde ? Et puis, la jalousie est humiliante pour elle comme pour moi. » Mais ce raisonnement qui, auparavant, avait pour lui tant de poids, lui paraissait maintenant dénué de sens. Arrivé à la porte de la chambre à coucher, il retournait de nouveau sur ses pas et aussitôt qu’il entrait dans l’ombre du salon, une voix intérieure lui disait que cette idée était fausse et que si les autres avaient fait des remarques, c’est qu’il y avait quelque chose. Et de nouveau dans la salle à manger, il se disait : « Oui, il faut décider, exprimer mon opinion », puis à l’entrée du salon il se demandait : « Que décider ? » et ensuite : « Qu’est-il arrivé ? Rien », et il se rappelait que la jalousie est un sentiment humiliant pour la femme ; mais de nouveau, dans le salon, il se persuadait que quelque chose était arrivé. Ces idées, comme son corps, tournaient dans un cercle sans pouvoir en sortir. Il le remarqua, se frotta le front et s’assit dans son cabinet.

Là, en regardant sa table avec le buvard posé dessus et le billet commencé, ses idées, soudain, prirent un autre cours. Il commença à penser à sa femme, à ce qu’elle pouvait penser et sentir. Pour la première fois, il se représentait vivement sa vie personnelle, ses pensées, ses désirs, et l’idée qu’elle pût avoir sa vie particulière lui sembla si terrible, qu’il se hâta de la chasser. C’était cet abîme qu’il