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teurs et que le gouvernement est obligé de prendre des mesures pour la suppression de l’hydre révolutionnaire. Au contraire, selon nous, le danger n’est pas dans l’hydre imaginaire de la révolution mais dans l’obstacle des traditions qui entravent le progrès, etc. » Il lut ensuite un article financier où étaient cités les noms de Bentham, de Mill, etc., et qui contenait des pointes à l’adresse du ministère. Avec sa vivacité habituelle d’assimilation, il saisissait le sens de chaque allusion, il voyait de qui elles venaient, à qui elles s’adressaient, au sujet de quoi, et, d’ordinaire, il en éprouvait un certain plaisir. Mais ce jour-là ce plaisir était empoisonné par le souvenir des conseils de Matriona Philémonovna et du désarroi de sa maison où tout allait si mal. Il lut aussi que le comte de Beust, comme le bruit en avait couru, était parti pour Wiesbaden ; qu’il n’existait plus de cheveux gris ; il lut l’annonce de la vente d’une voiture légère, et la demande d’emploi d’une jeune personne, mais ces renseignements ne lui procuraient pas, comme d’habitude, un plaisir doux, ironique. Ayant terminé son journal, il but une deuxième tasse de café, mangea un croissant beurré, puis il se leva et secoua les miettes tombées sur son gilet ; ensuite, dilatant sa large poitrine, il sourit joyeusement, non qu’il eût en l’âme quelque sentiment particulièrement agréable : la bonne digestion seule était cause de ce joyeux sourire.