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même sensation de bonheur. Il donna l’ordre à son valet allemand, qui accourait vers lui des secondes classes, de prendre les bagages, et il s’avança vers elle. De loin il vit les époux s’aborder et, avec la perspicacité d’un amoureux, remarqua l’attitude légèrement gênée d’Anna lorsqu’elle parla à son mari.

— « Non, elle ne l’aime pas et ne peut l’aimer », décida-t-il.

Comme il s’approchait d’Anna Arkadiévna, il remarqua avec joie qu’elle avait senti son approche ; elle se retourna et le reconnut puis continua de causer avec son mari.

— Avez-vous bien passé la nuit ? dit-il quand il se fut approché, en s’inclinant devant elle et son mari, laissant à Alexis Alexandrovitch la possibilité de prendre ce salut pour lui et de l’agréer s’il lui semblait bon.

— Je vous remercie beaucoup, répondit-elle.

Son visage fatigué avait perdu son animation et ses yeux ne souriaient plus. Mais quand elle l’aperçut, un éclair traversa son regard et, bien que cette flamme durât peu, il en éprouva de la joie. Elle se tourna vers son mari, cherchant à voir s’il connaissait Vronskï. Alexis Alexandrovitch regarda le jeune officier d’un air mécontent et parut chercher à se rappeler qui il était. Le calme et l’assurance de Vronskï se heurtèrent cette fois comme une faulx sur la pierre au calme et à l’assurance glaciale d’Alexis Alexandrovitch.