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exprima une joie et une animation des plus vives.

— Pourquoi je pars ? répéta-t-il regardant droit dans ses yeux. Je pars pour être où vous êtes. Je ne puis faire autrement, dit-il.

À ce moment, le vent, semblant avoir vaincu les obstacles, balayait la neige du toit des wagons ; une plaque de tôle détachée grinça et, en avant, la locomotive poussa un sifflement lugubre et plaintif. Toute l’horreur de la tourmente lui semblait maintenant plus belle. Il avait prononcé juste les mots que désirait son âme, mais que redoutait sa raison.

Elle ne répondit rien ; il voyait sur son visage la lutte qui se passait en elle.

— Pardonnez-moi si mes paroles vous ont déplu, lui dit-il humblement.

Il parlait d’une voix timide et respectueuse, mais avec tant de franchise et de fermeté que, pendant longtemps, elle ne put dire une parole.

— C’est mal ce que vous dites là, répondit-elle enfin, et, si vous êtes un galant homme, je vous prie d’oublier ce que vous m’avez dit comme je l’oublierai moi-même.

— Je n’oublierai jamais aucune de vos paroles, ni aucun de vos gestes… Je ne le puis…

— Assez ! Assez ! s’écria-t-elle, tâchant en vain de donner à son visage qu’il fixait avidement une expression sévère, et, saisissant de nouveau la poignée glacée du wagon, elle gravit le marchepied et entra rapidement dans le vestibule du comparti-