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la parole ; le passage où lady Mary, en montant à cheval, agaçait sa belle-sœur et étonnait tout le monde par sa hardiesse, lui suggérait l’envie d’en faire autant. Mais c’était impossible et, retournant le coupe-papier entre ses doigts, elle s’efforcait de poursuivre sa lecture.

Le héros du roman atteignait enfin l’apogée de son bonheur d’Anglais, — le titre de baronnet et la propriété d’un domaine, — et Anna désirait le suivre dans ce domaine quand, tout à coup, elle sentit qu’il devait en avoir honte ainsi qu’elle-même. « Mais de quoi doit-il être honteux ? Et moi-même, de quoi ai-je honte ? » se demanda-t-elle, puis étonnée et mécontente, elle laissa le livre et se rejeta sur le dossier du fauteuil, en serrant fortement entre ses mains le coupe-papier. Qu’y avait-il de honteux ? Elle se remémorait tous ses souvenirs de Moscou : tous étaient doux et agréables. Elle se rappelait le bal, Vronskï, et son visage amoureux et soumis ; elle se souvenait des conversations qu’elle avait eues avec lui ; il n’y avait là rien qui pût la rendre honteuse. Et en même temps, à ce point de ses souvenirs, le sentiment de la honte grandissait, comme si une voix intérieure, précisément à propos de Vronskï, lui eut dit : « Attention ! Attention ! ça brûle ! » « Eh bien ! Quoi ? » se dit-elle résolument en s’installant dans son fauteuil. « Qu’est ce que cela signifie ? Ai-je peur de regarder tout cela en face ? Voyons ! Entre moi