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— Sans toi, Dieu sait ce qui serait arrivé ! Que tu es heureuse, Anna ! dit Dolly. Tout dans ton âme est pur et bon.

— Chacun a dans son âme des « skeletons » comme disent les Anglais.

— Quels « skeletons » peux-tu avoir ? Dans ton âme tout est si pur.

— Il y en a ! fit tout à coup Anna, et, tout à fait inattendu après les larmes, un sourire moqueur plissa ses lèvres.

— Eh bien, alors, ils sont gais tes « skeletons », ils ne sont pas tristes, dit en souriant Dolly.

— Non, ils sont tristes. Sais-tu pourquoi je pars aujourd’hui, et non demain ? C’est un aveu qui m’étouffe et que je veux te faire, dit Anna en s’allongeant sur la chaise et regardant droit dans les yeux de Dolly.

Et, avec un vif étonnement, Dolly s’aperçut qu’Anna rougissait jusqu’aux oreilles, jusqu’à la racine des petits cheveux noirs qui bouclaient sur son cou.

— Oui, continua-t-elle, sais-tu pourquoi Kitty n’est pas venue dîner ? Elle est jalouse de moi ; j’ai été cause que ce bal a été pour elle une souffrance au lieu d’un plaisir. Mais vraiment, vraiment je ne suis pas coupable. Ou plutôt si, je suis un peu coupable, fit-elle d’une voix basse en traînant sur les mots « un peu ».