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nonçaient avait une influence décisive sur leur sort et sur le sien. Chose étrange, en effet, ils parlaient d’Ivan Ivanitch qu’ils trouvaient ridicule avec son français, et de mademoiselle Eletzkaia dont ils blâmaient le mariage, et ces paroles, cependant banales, prenaient pour eux une signification toute particulière dont ils se rendaient compte comme Kitty. Celle-ci, dans son trouble, voyait tout comme au travers d’un brouillard : le bal, les invités, tout était confus pour elle et il lui fallait toute la puissance de son éducation pour la soutenir et la forcer à agir comme il convenait, c’est-à-dire à danser, à répondre aux questions, à parler, même à sourire. Mais avant le cotillon, pendant qu’on commençait à placer les chaises et que quelques couples se dirigeaient du salon dans la grande salle, elle fut prise d’un accès de désespoir. Elle avait refusé cinq cavaliers et maintenant elle ne dansait pas le cotillon ! Même il n’y avait plus d’espoir que quelqu’un vînt l’inviter, précisément parce qu’elle avait toujours un grand succès et que personne ne pouvait s’imaginer qu’elle n’était pas encore engagée. Elle aurait voulu dire à sa mère qu’elle était souffrante et rentrer à la maison, mais elle n’en avait pas le courage. Elle se sentait anéantie.

Elle se dirigea au fond du petit salon et tomba sur une chaise. Sa robe légère se souleva comme un nuage autour de sa fine taille, et son bras gauche tomba sans force, noyant sa chair délicate