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qu’elle venait maintenant chez sa sœur, se demandant comment l’accueillerait cette dame du monde de Pétersbourg dont on disait tant de bien. Mais elle plut tout de suite à Anna Arkadievna, et s’en aperçut.

Anna, évidemment, admirait sa beauté, sa jeunesse, et Kitty n’avait pas encore eu le temps de se ressaisir qu’elle avait subi le charme de cette femme, et que déjà elle l’aimait de cette amitié qu’ont souvent les jeunes filles pour les femmes mariées, et plus âgées qu’elles. À voir Anna, on n’eût jamais soupçonné une femme du monde et encore moins la mère d’un jeune garçon de huit ans.

La souplesse de ses mouvements, la fraîcheur et l’animation de son teint lui auraient donné plutôt l’air d’une jeune fille de vingt ans, sans l’expression sérieuse et parfois triste de ses yeux dont Kitty fut frappée et charmée tout à la fois. Kitty sentait qu’Anna était tout à fait simple et pleine de franchise, mais qu’elle appartenait à un monde spécial, supérieur, aux intérêts compliqués, inaccessible pour elle. Après le dîner, quand Dolly sortit de la salle à manger, Anna se leva rapidement et s’approchant de son frère qui allumait un cigare :

— Stiva, lui dit-elle, en clignant gaiement les yeux et lui désignant du regard la porte, va et que Dieu te vienne en aide.

Il comprit, posa son cigare et disparut derrière la porte.