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sont méprisables et doivent être écartées de la famille. Ils tracent une ligne de démarcation entre elles et leur foyer. Je ne comprends pas cela, mais c’est ainsi.

— Mais il l’a embrassée…

— Attends, ma chère Dolly. J’ai vu Stiva quand il était amoureux de toi ; je me le rappelle quand il venait chez moi et pleurait en parlant de toi ; je sais quel idéal plein de poésie tu étais pour lui, et je sais aussi que plus il a vécu avec toi, plus tu as grandi à ses yeux. Il nous arrivait de nous moquer de lui quand à chaque mot il ajoutait : « Dolly est une femme remarquable ! » Tu fus toujours pour lui une idole, tu l’es restée, et cet entraînement n’est pas venu de l’âme…

— Mais si cet entraînement se renouvelle ?

— Il me semble que cela ne peut être…

— Et toi, tu pardonnerais ?

— Je ne sais pas… Je ne puis juger… Si, je puis… dit Anna réfléchissant ; elle s’imaginait la situation et la pesait en elle-même ; elle ajouta : Oui, je puis… je pardonnerais… mais je ne serais plus la même ; oui, mais je pardonnerais, et je pardonnerais pour que tout fût comme si rien n’était arrivé…

— Oui, sans doute, interrompit vivement Dolly, comme pour répondre à une question qu’elle s’était souvent posée. Autrement ce n’est pas le pardon. Si l’on pardonne, il faut pardonner tout à fait