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mais Darmstadt se trouvait en Amérique. Oui, Alabine donnait un dîner sur une table de verre et la table chantait : il mio tesore. Non, pas cela, quelque chose de mieux, de beaucoup mieux, et il y avait sur cette table de petites carafes qui étaient des femmes… »

Les yeux de Stépan Arkadiévitch brillèrent joyeusement et il songea, en souriant :

— « Oui, c’était très bien. Il y avait là-bas encore beaucoup de choses admirables, mais les paroles et même les idées sont impuissantes à les rendre, cela ne peut s’exprimer. »

Apercevant un rayon de lumière qui filtrait par l’entre-bâillement d’un des stores, il sortit vivement ses pieds du divan, cherchant les pantoufles de maroquin doré que sa femme lui avait brodées pour son dernier anniversaire, et les chaussa ; puis, par une habitude vieille de neuf ans, sans se lever, il tendit la main du côté où, dans sa chambre à coucher, se trouvait accrochée sa robe de chambre. Alors il se rappela comment et pourquoi il n’était pas couché dans la chambre de sa femme, mais dans son cabinet de travail. Le sourire s’effaça de son visage, son front se plissa.

— Ah ! ah ! ah ! gémit-il en se rappelant tout ce qui s’était passé. Et dans son imagination il revit tous les détails de la scène qu’il avait eue avec sa femme, et sa situation sans issue, qu’il ne devait qu’à sa propre faute, ainsi qu’il le déplorait.