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ne la reverrai-je plus. Allons donc la voir, et si celle qu’elle a choisie me plaît, je l’épouserai… »

Il obtint un congé de son colonel, fit ses adieux à ses camarades, offrit à ses soldats de l’eau-de-vie et fit ses préparatifs de départ.

On était alors en guerre au Caucase. Les routes étaient dangereuses, non seulement la nuit, mais le jour. Si quelque Russe s’éloignait de la forteresse, les Tatars le tuaient ou l’emmenaient dans la montagne. Deux fois par semaine, les voyageurs, escortés par des soldats, franchissaient la distance qui séparait les forteresses russes. Les soldats marchaient devant et derrière, et les voyageurs au milieu.

C’était en été. À l’aube, le convoi se réunit hors des fortifications. Les soldats chargés de l’accompagner sortirent et l’on se mit en route. Jiline était à cheval, et la voiture contenant ses effets faisait partie du convoi. Il fallait parcourir vingt-cinq verstes. Le convoi marchait lentement : tantôt c’étaient les soldats qui faisaient une halte, tantôt une roue se détachait, tantôt un cheval refusait d’avancer, et tous s’arrêtaient et attendaient.

Le soleil avait déjà accompli plus de la moitié de sa course et le convoi n’était guère qu’à mi-chemin.

La poussière, la chaleur et le soleil brûlaient, et il n’y avait où s’abriter. La plaine était nue : sur la route, pas un seul arbuste, pas même un buisson.