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se sauva, laissant quelques gouttes de sang sur la neige.

Nous nous rejoignîmes dans la forêt et discutâmes sur le parti à prendre : fallait-il se mettre tout de suite à détourner l’ours, ou attendre deux ou trois jours qu’il soit remis de son alarme ?

Nous demandâmes aux paysans meneurs d’ours si l’on pouvait ou non détourner la bête. Le plus vieux nous dit :

— On ne peut pas. Il faut lui laisser le temps de se remettre ; dans cinq jours environ on pourra détourner l’ours ; si on le poursuivait maintenant, on ne ferait que l’effrayer et il ne gîterait pas.

Mais le jeune meneur qui discutait avec le vieux n’était pas du même avis et soutenait qu’on pouvait dès maintenant le détourner.

— Sur cette neige, affirmait il, l’ours n’ira pas très loin : car il est gras. Il ne se couchera pas aujourd’hui, et s’il ne se couche pas, je me fais fort de l’attraper avec mes skis.

Mon compagnon ne voulait pas non plus se remettre en chasse immédiatement, et conseillait d’attendre.

Alors j’intervins :

— Pourquoi discuter ? dis-je. Vous autres, faites comme vous l’entendez ; moi je suivrai la piste avec Démian. Si nous rejoignons l’ours, tant mieux ; si non, tant pis. Je n’ai rien à faire aujourd’hui, et il n’est pas encore tard.