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Peu de temps après avoir échappé à la mort, il commença à devenir triste, à lécher tout ce qu’il rencontrait. Il me léchait les mains, mais non plus comme auparavant, pour me caresser. Il léchait longtemps et fortement, en appuyant sa langue, puis cherchait à saisir avec les dents. On voyait qu’il avait besoin de mordre la main, mais s’en retenait.

Je cessai de lui abandonner ma main. Il se mit alors à lécher ma botte, le pied de la table, qu’il mordait ensuite. Cela dura deux jours ; le troisième, il disparut, depuis nul ne le revit, nul n’apprit ce qu’il était devenu. On ne pouvait le voler ; il ne pouvait me fuir. C’était six semaines après la morsure du loup.

Le loup devait être enragé, Boulka, enragé à son tour, était parti. Il lui était venu ce que les chasseurs appellent la rage mue, qui se manifeste, dit-on, par des convulsions dans la gorge. Les animaux atteints veulent boire, mais ne le peuvent pas, l’eau provoque des convulsions encore plus fortes. Alors, le mal et la soif les mettent hors d’eux-mêmes, et ils commencent à mordre. Évidemment Boulka souffrait de ces convulsions lorsqu’il se mit à lécher, puis à mordre ma main et le pied de la table.

Je parcourus tout le pays, en quête de Boulka. Personne ne put me dire où il s’était réfugié, comment il était mort ; s’il avait erré et mordu, comme