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Parfois même, malgré les bâtons, les pierres, les loups et les chiens qui vous poursuivent, on ne lâche pas sa proie. Et combien de nous périssent ainsi, de faim ! Tout le mal vient de la faim !

Le pigeon dit :

— Selon moi, le mal ne vient pas de la faim, il vient de l’amour. Si nous vivions isolément, le mal n’existerait pas. Une tête n’est pas pauvre, et si elle est pauvre, elle est seule. Mais nous vivons toujours par deux, et l’on aime tant sa compagne, qu’on n’a point de tranquillité. On y pense toujours : « A-t-elle bien mangé, a-t-elle chaud ? » Et si elle s’éloigne, alors on est tout à fait éperdu, on pense sans cesse : « Oh ! pourvu que l’épervier ou les hommes ne l’attrapent point ! » Et soi-même, on part à sa recherche, et l’on court maints dangers : l’épervier ou le piège. Et si ta compagne est perdue, tout te devient tristesse. On ne mange plus, on ne boit pas, on ne fait que chercher et pleurer. Combien d’entre nous en sont morts ! Tout le mal vient de l’amour et non de la faim.

Le serpent dit à son tour :

— Non, le mal ne vient ni de la faim ni de l’amour, il vient de la méchanceté. Si nous vivions tranquilles, sans nous irriter, alors tout irait bien. Mais arrive-t-il quelque chose qui ne nous va pas, nous nous fâchons, et nous oublions tout. On ne pense qu’à se venger sur quelqu’un. Et, sans se ressaisir, on va, on cherche qui mordre. On n’a