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qu’on appelle la société instruite et les exigences esthétiques du peuple — je parle de la peinture, de la sculpture, de la musique, de la poésie. Un tableau d’Ivanov ne provoquera chez le peuple que l’admiration pour l’art technique, mais n’éveillera aucun sentiment poétique et religieux, tandis que le sentiment poétique sera provoqué par une chromo représentant Jean de Novgorod et le diable dans une bouteille[1]. La Vénus de Milo n’inspirera qu’un dégoût légitime pour le nu et l’impudeur féminine. Le quatuor de Beethoven, de la dernière période, semblera un bruit désagréable qui intéressera peut-être parce que l’un joue sur un grand violon et l’autre sur un petit. La meilleure œuvre de notre poésie : les poèmes lyriques de Pouschkine, paraîtront une série de mots dénués de sens. Introduisez l’enfant du peuple dans ce monde, vous le pouvez et le faites toujours par la hiérarchie des établissements scolaires, des académies et des écoles d’art, il comprendra entièrement le tableau d’Ivanov, la Vénus de Milo, le quatuor de Beethoven et les poèmes lyriques de Pouschkine, mais une fois entré dans ce monde, il ne respirera plus à pleins poumons, et l’air frais l’indisposera quand il lui arrivera d’y pénétrer. De même que pour la respira-

  1. Nous demandons au lecteur d’arrêter son attention sur ce tableau absurde, remarquable par la force du sentiment religieux et poétique et qui est à la peinture russe contemporaine, ce qu’est Fra Angelico à l’école de Michel-Ange.