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la même place ? Elle aussi devrait changer de place. » Je vis alors que mon explication était restée à mille lieues du plus intelligent, qu’avaient donc dû comprendre ceux qui l’étaient moins ?

Je retournai à mon explication ; j’expliquai, dessinai, je donnai toutes les preuves de la sphéricité de la terre : le voyage autour du monde, le mât du vaisseau qu’on aperçoit avant le pont, et, consolé par l’idée que tous avaient compris, je leur fis rédiger la leçon. Tous écrivirent : « La Terre est ronde, c’est la première preuve…, l’autre preuve. La troisième preuve… » Ils l’avaient oubliée et m’ont questionné. On voyait que le mot preuve était pour eux l’essentiel. Ce n’est pas une fois, mais dix fois, mais cent fois que je suis revenu à ces explications, et toujours sans succès. À l’examen, tous les élèves répondent, et encore maintenant ils répondent d’une façon satisfaisante, mais je sens qu’ils ne comprennent pas et me font souvenir que, moi aussi, je n’ai pas bien compris jusqu’à trente ans. Comme moi, quand j’étais enfant, eux aussi croient, sur ma parole, que la terre est ronde et n’y comprennent rien. Pour moi, c’était cependant plus facile à comprendre quand, dans ma tendre enfance, ma vieille bonne m’expliquait qu’au bout du monde le ciel rencontre la terre, que là-bas, au bout de la terre, les femmes lavent le linge dans la mer et posent leur battoir sur le ciel. Mes élèves sont depuis longtemps pénétrés d’idées absolument con-