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têtes lévées regardent juste les lèvres du maître. Une petite fille de domestiques est toujours assise sur la haute table : le visage attentif, elle semble boire chaque parole. Les plus petits sont assis plus loin. Ils écoutent attentivement, même avec opiniâtreté. Ils se tiennent comme les grands, mais, malgré toute leur attention, nous savons qu’ils ne pourront rien répéter bien qu’ils se souviennent de beaucoup de choses. Les uns sont montés sur les épaules des autres, d’autres sont debout sur les tables, quelques-uns, serrés au milieu du groupe, tracent des figures avec leurs ongles sur le dos des voisins. Il est rare que quelqu’un vous regarde : quand un nouveau récit est commencé, tous écoutent. Quand on le répète pour la deuxième fois, par-ci par-là, éclatent des voix ambitieuses qui ne peuvent s’empêcher de souffler au maître. Cependant, pour l’histoire ancienne qu’ils aiment, ils demandent au maître de la répéter mot à mot et ne permettent à personne de l’interrompre : — « Hé ! toi ! Tu n’as pas le temps ! Tais-toi ! » crie-t-on quand quelqu’un s’avance. Ils sont attristés qu’on change le caractère et la poésie du récit du maître. Ces derniers temps, l’histoire de la vie du Christ était en faveur. Chaque fois ils en exigeaient le récit en entier. Si on ne leur racontait pas toute l’histoire ils narraient eux-mêmes la fin qu’ils aimaient tant : le reniement de Pierre, et les souffrances du Saint Sauveur.

On dirait que tout est mort. Rien ne remue. Ne