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famille, envers le village, envers l’assemblée. Mais envers les autres — le public, l’État, et surtout envers un étranger et le Trésor — il se fait une vague représentation des règles générales de l’honnêteté. Un paysan qui ne trompera jamais son frère, qui supportera toutes les privations pour sa famille, qui ne lésera pas son voisin d’un kopek, ce même paysan dépouillera un étranger ou un citadin, ne cessera de dire des mensonges à un gentilhomme ou à un fonctionnaire. S’il est soldat, sans le moindre remords de conscience il tuera le Français prisonnier, et si l’argent du Trésor lui tombe entre les mains, il regardera comme un crime de n’en pas faire profiter sa famille.

Dans les classes supérieures c’est tout le contraire. Un des nôtres trompera volontiers sa femme, son frère, un marchand avec qui il est en relations d’affaires depuis des dizaines d’années, ses domestiques, les paysans, les voisins, et ce même homme, à l’étranger, aura toujours peur de léser quelqu’un, par hasard, et il demandera à chaque instant qu’on lui indique à qui il doit encore donner de l’argent. L’officier qui pour son champagne et ses gants volera sa compagnie et son régiment sera particulièrement aimable envers le Français prisonnier. Le même homme regardera comme le plus grand crime de prendre dans un moment de gêne quelque argent du Trésor. Mais ce n’est qu’un scrupule et, dans la plupart des cas, il ne