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joyeuse à la fois parce que son mari ne s’est pas mis à boire. Et vous sentez que s’il n’a pas bu dans un moment pareil, c’est qu’alors il s’est corrigé. Vous sentez que tous les membres de la famille sont devenus tout autres : « Mon père pria Dieu, se mit à la table. Je m’installai près de lui. La fille s’assit sur le banc, la mère resta debout près de la table, regarda le père et lui dit : « Voilà, tu es rajeuni, tu n’as plus de barbe. Tous se mirent à rire. »

Et c’est seulement quand tout le monde est parti que commence la vraie conversation de famille. C’est seulement alors qu’on apprend que le soldat est devenu riche, et cela de la façon la plus simple, la plus naturelle, comme s’enrichissent la plupart des gens, c’est-à-dire que l’argent d’autrui, celui de Trésor, grâce à un heureux hasard, lui est resté. Quelques-uns des lecteurs de la nouvelle objecteront que ce détail est immoral et qu’il faut détruire dans le peuple l’idée que le Trésor est une vache à lait, au lieu de le confirmer dans cette idée ; quant à moi, ce trait, sans parler de sa vérité artistique, m’est particulièrement cher. L’argent du Trésor reste toujours à quelqu’un. Pourquoi donc ne serait-il pas resté un beau jour au soldat Gordéï ! Le peuple a souvent de l’honnêteté une idée tout à fait différente de celle qu’en a la classe supérieure. Le peuple est particulièrement exigeant et sévère pour l’honnêteté dans les rapports entre proches, par exemple dans les rapports envers la