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réchaux. Le regard du maréchal s’arrêta sur la grande personne de Pierre et dans l’expression avec laquelle ce maréchal fronça les sourcils et détourna son visage, Pierre crut apercevoir de la compassion et le désir de la cacher.

Le général qui conduisait le dépôt, le visage rouge, effrayé, stimulait son cheval maigre et galopait derrière la voiture. Quelques officiers s’étaient rassemblés, les soldats les entouraient, tous avaient des visages émus, attendris.

Qu’est-ce qu’il a dit ? Qu’est-ce qu’il a dit ? entendait Pierre. Pendant le passage du maréchal, les prisonniers étaient ramassés ensemble et Pierre aperçut Karataïev qu’il n’avait pas vu depuis le matin. Karataïev, en manteau, était assis contre un bouleau. Sur son visage, outre l’expression d’attendrissement joyeux de la veille, quand il narrait les souffrances imméritées du marchand, brillait encore une expression solennelle et douce. Karataïev regarda Pierre avec ses bons yeux ronds, maintenant humides, et l’appela pour lui dire quelque chose. Mais Pierre avait peur pour lui-même. Il fit semblant de ne pas apercevoir son regard et s’éloigna hâtivement.

Quand les prisonniers avancèrent de nouveau, Pierre se retourna. Karataïev était assis au bord de la route, près du bouleau ; deux Français parlaient auprès de lui. Pierre ne se retourna plus. En boitant, il gravit la colline ;