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meil, ai mis le couteau sous son oreiller. Pardonne-moi, grand-père, au nom du Christ ! »

Karataïev se tut ; avec un sourire heureux il regarda le feu et arrangea les bûches.

« Le vieux dit : « C’est Dieu qui te pardonnera, nous sommes tous des pécheurs devant lui. Je souffre pour mes propres péchés. Et il se mit à fondre en larmes… Et que penses-tu, mon petit faucon ? dit Karataïev éclairé de plus en plus par un sourire enthousiaste, comme si, dans ce qui lui restait à dire, se trouvait le principal charme et l’importance du récit.

— « Qu’en penses-tu ? Cet assassin est venu chez les autorités. — J’ai tué six personnes, dit-il (c’était un grand malfaiteur), mais j’ai grand’ pitié pour ce vieux ; je ne veux pas qu’il souffre pour moi.

« Il s’est déclaré coupable. On a écrit, on a envoyé les papiers, tout ce qu’il faut. C’était loin ; il fallut du temps pour que les papiers viennent jusqu’aux autorités. L’affaire arriva jusqu’à l’empereur. Alors on reçut de l’empereur l’ordre de délivrer le marchand et de lui donner une digne récompense. Le papier est arrivé, on a envoyé chercher le vieux. — « Où est le vieillard qui souffre bien qu’innocent ? On se met à le chercher — la mâchoire de Karataïev trembla. — Dieu l’avait déjà gracié, il était mort ! C’est comme ça, mon petit faucon », conclut Karataïev. Et longtemps, en souriant, il regarda devant lui.