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passent, le vieux est toujours au bagne, il se soumet, il ne fait rien de mal, il ne demande à Dieu que la mort. Bon ! Une nuit, les forçats s’étaient réunis, comme nous, par exemple ; le vieillard était avec eux. Alors la conversation commence : pourquoi sont-ils punis ? de quoi étaient-ils coupables devant Dieu ? On se met à raconter : l’un a tué un homme ; un autre, deux ; celui-ci a incendié, le quatrième s’est enfui, comme ca, pour rien. On se met à demander au vieux :

— « Et toi, grand-père, pourquoi souffres-tu ?

— « Moi, mes amis, dit-il, je souffre pour mes propres péchés et pour ceux des autres. Je n’ai perdu aucune âme, je n’ai rien pris à personne, j’ai seulement distribué des aumônes aux mendiants. Moi, mes amis, j’étais marchand, j’étais riche… et il raconta tout ce qui s’était passé.

— « Moi, dit-il, je ne me plains pas pour moi, c’est Dieu qui l’a voulu, je plains seulement ma vieille et mes enfants.

« Et le vieux se mit à pleurer. Parmi eux se trouvait l’assassin du marchand.

— « Où cela s’est-il passé, grand-père ? Quand ? Quel mois ?

« Il demanda tous les détails. Son âme souffrait. Il s’approcha du vieux et tomba à genoux.

— « C’est pour moi, vieillard, que tu souffres, dit-il. Je vous jure que cet homme est innocent. C’est moi qui ai fait le coup, et qui, pendant son som-