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homme et voulait s’en aller, mais il n’y avait pas d’autre bûcher et Pierre, en tâchant de ne pas regarder Platon, s’assit là.

— Quoi ? Comment va ta santé ? demanda-t-il.

— Quelle santé ? geignit le malade. Si l’on se plaint de sa santé Dieu n’envoie pas la mort !

Et aussitôt il continua le récit commencé.

— « Et voilà, mon cher, continua Platon avec un sourire sur son visage maigre, pâle, et un éclat particulier des yeux. Voilà, petit frère… »

Pierre connaissait cette histoire depuis longtemps. Karataïev à lui seul l’avait racontée au moins six fois et toujours avec une joie particulière. Néanmoins, Pierre, ce soir, écoutait cette histoire comme si elle eût été nouvelle pour lui. L’enthousiasme doux qu’éprouvait visiblement Karataïev en parlant se communiquait aussi à Pierre. Cette histoire était celle d’un vieux marchand qui vivait très bien et très pieusement avec sa famille, et qui, un jour, partit avec un riche marchand à la foire de Nijni-Novgorod. À l’auberge, les deux marchands s’endormirent, et le lendemain, le compagnon du marchand fut trouvé étranglé et volé. Un couteau ensanglanté fut découvert sous l’oreiller du vieux marchand. On le jugea, on le punit du knout, on lui arracha les narines, suivant la loi, disait Karataïev, et on l’envoya au bagne.

— « Et voilà, mon cher (Pierre était arrivé à ce passage du récit de Karataïev), dix ans et plus se