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pas se firent entendre : quelqu’un s’avancait dans l’obscurité.

— Qu’est-ce que tu aiguises ? demanda un homme en s’approchant du fourgon.

— C’est pour monsieur, j’aiguise son sabre.

— C’est bon ! dit l’homme que Pétia prit pour un hussard. La coupe est-elle restée chez vous ?

— Voilà, elle est près de la roue.

Le hussard prit la coupe.

— J’espère qu’il va faire bientôt jour, prononca-t-il en bâillant et s’éloignant.

Pétia devait savoir qu’il était dans la forêt, dans le détachement de Denissov, à une verste de la grande route, qu’il était assis sur un chariot pris aux Français autour duquel étaient attachés des chevaux, que sous le fourgon était assis le Cosaque Likatchov qui aiguisait son sabre, que la grande tache noire à droite c’était la chaumière, la tache claire, rouge, à gauche, le bûcher qui s’éteignait, que l’homme qui venait chercher la coupe était un hussard qui voulait boire, mais il ne savait rien et ne voulait rien savoir. Il était dans le royaume magique où il n’y a rien de semblable à la réalité.

La grande tache noire, c’était peut-être la chaumière, mais peut-être la caverne qui menait aux profondeurs mêmes de la terre. La tache rouge était peut-être le feu, peut-être l’oeil d’un énorme monstre. C’était peut-être vrai qu’il était assis sur le fourgon, il se pouvait aussi qu’il fût assis non