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il était assis sur son lit et regardait devant lui. Un rêve affreux l’avait éveillé : Il se voyait avec Pierre, tous deux coiffés de casques, tels qu’ils étaient dessinés dans les illustrations de son Plutarque. Avec l’oncle Pierre il marchait devant une énorme armée. Elle était composée de fils blancs obliques qui emplissaient l’air comme ces fils d’araignée qui flottent dans l’air en automne et que Desalles appelait les fils de la Vierge. En avant était la gloire, représentée également par un fil un peu plus épais. Eux, — lui et Pierre, légèrement et gaîment, volaient de plus en plus près du but. Tout à coup, les fils qui les formaient commencèrent à faiblir, à s’emmêler : il devenait difficile d’avancer, et l’oncle Nicolas Ilitch s’arrêtait devant eux dans une attitude sévère et terrible.

— « C’est vous qui l’avez fait ! disait-il en désignant la cire et les plumes cassées. Je vous aimais, mais Araktchéiev me l’a ordonné et je tuerai le premier qui s’avancera. Nikolenka se retournait vers Pierre, mais il n’était plus là. Pierre était son père, le prince André. Et son père n’avait ni visage ni forme, mais il était, et, en le voyant, Nikolenka sentit la faiblesse de l’amour : il devenait faible, fluide. Son père le caressait et le plaignait mais l’oncle Nicolas Ilitch s’approchait de plus en plus. L’horreur saisit Nikolenka et il se réveilla : — « Père, pensa-t-il, père, »