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femme lui parut un encouragement et la confirmation de ses pensées et, après une courte réflexion, il continua de penser à haute voix.

— Sais-tu, Marie, Ilia Mtirofanitch (c’était l’intendant principal) est arrivé aujourd’hui, il dit qu’on propose déjà quatre-vingt mille roubles pour la forêt. Et Nicolas, avec un visage animé, se mit à parler de la possibilité de racheter prochainement Otradnoié. — Encore une dizaine d’années et je laisserai aux enfants de très bonnes affaires.

La comtesse Marie l’écoutait et comprenait toutes ses paroles. Elle savait que lorsqu’il pensait ainsi, à haute voix, parfois, il lui demandait de répéter ce qu’il disait et se fâchait quand il s’apercevait qu’elle pensait à autre chose, mais elle faisait pour cela de grands efforts car elle ne s’intéressait nullement à ce qu’il disait. Elle le regardait : elle ne pensait pas à autre chose, mais elle sentait autre chose.

Elle ressentait un amour tendre pour cet homme qui ne comprendrait jamais tout ce qu’elle comprenait, et, à cause de cela, elle paraissait l’aimer encore davantage, avec une nuance de tendresse passionnée. Outre ce sentiment qui l’emplissait toute et l’empêchait d’entrer dans les détails des projets de son mari, des pensées n’ayant rien de commun avec ce qu’il disait lui venaient en tête. Elle pensait à son neveu (ce qu’avait dit son mari de son émotion pendant la conversation de Pierre la frappait beaucoup) et les divers traits de son caractère