Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quand pourrai-je le porter ? Elle le piqua dans ses tresses. Quand nous commencerons à sortir Machenka peut-être qu’on le portera de nouveau. Eh bien ! allons.

Prenant les cadeaux ils allèrent d’abord dans la chambre des enfants, ensuite chez la comtesse.

Quand Pierre et Natacha, les paquets dans les bras, entrèrent au salon, la comtesse, à son habitude, était assise près de madame Biélova et faisait une grande patience.

Elle avait passé la soixantaine, ses cheveux étaient tout blancs et elle portait un petit bonnet dont la ruche encadrait son visage. Son visage était crispé, la lèvre inférieure rentrée ; ses yeux étaient vitreux.

Depuis les morts si rapprochées de son fils et de son mari, elle se sentait un être sans but ni sens, oublié dans ce monde par hasard. Elle mangeait, buvait, dormait, veillait, mais ne vivait pas. La vie ne lui laissait aucune impression. Elle ne demandait rien à la vie sauf la tranquillité, et, cette tranquillité, elle ne pouvait la trouver que dans la mort. Mais en attendant, il lui fallait vivre, c’est-à-dire dépenser ses forces vitales. En elle, on remarquait au plus haut degré ce qu’on remarque chez les tout petits enfants ou les très vieilles personnes : dans sa vie on ne voyait aucun but extérieur, seule se montrait la capacité d’exercer ses diverses fonctions et aptitudes. Elle avait besoin de manger, de dormir, de penser, de pleurer, de causer, de