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Depuis les deux semaines que le délai du congé était expiré, Natacha se trouvait dans un état de crainte, de tristesse et d’énervement.

Denissov, général en retraite mécontent de la situation actuelle, qui était arrivé pendant ces deux dernières semaines, regardait Natacha avec étonnement et tristesse, comme le portrait non ressemblant d’un être autrefois aimé. Le regard triste, ennuyé, les réponses mal à propos, les conversations sur les enfants, c’était tout ce qu’il voyait et entendait de l’ancienne magicienne.

Tout ce temps Natacha était triste et agacée, surtout quand, pour la consoler, sa mère, son frère, Sonia ou la comtesse Marie tâchaient d’excuser le retard de Pierre.

— Tout ça, des bêtises. Toutes ces réflexions qui ne mènent à rien et toute cette stupide société, disait-elle de ces mêmes affaires à l’importance desquelles elle croyait si fermement ; et elle allait dans la chambre des enfants allaiter son fils Pétia.

Personne ne pouvait la consoler autant que ce petit être de trois mois quand il était appuyé sur sa poitrine et qu’elle sentait les mouvements de sa petite bouche et les reniflements de son petit nez.

Cet être paraissait dire : « Tu te fâches, tu es jalouse, tu voudrais te venger, tu as peur, et moi je suis ici et moi, c’est lui… » Et il n’y avait rien à objecter, c’était plus que la vérité.