Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme qu’elle connaissait et aimait et elle ne parlait maintenant qu’avec cet homme.

— J’ai pensé que vous me permettriez de vous le dire, dit-elle. Nous nous sommes si rapprochés ensemble… et avec votre famille, que je ne croyais pas que mes compliments pussent vous sembler déplacés. Mais je me suis trompée…

Tout à coup sa voix trembla.

— Je ne sais pourquoi, continua-t-elle en se ressaisissant, autrefois vous étiez tout autre et…

— Il y a des milliers de causes pour cela (il accentua particulièrement les mots « pour cela »). Je vous remercie, princesse, dit-il doucement. C’est parfois pénible…

« Alors voici pourquoi ! voici pourquoi » disait une voix intérieure dans l’âme de la princesse Marie. « Non ce n’est pas seulement ce regard bon, ouvert, ce n’est pas la seule beauté extérieure que j’ai devinée en lui. J’ai deviné son âme noble, courageuse, pleine de sacrifice, se disait-elle. Oui, maintenant il est pauvre et moi je suis riche, oui, c’est pour cela… Mais si ce n’était pas cela ?… » Elle se rappelait sa tendresse d’autrefois et maintenant, en regardant son visage bon et triste, elle comprenait la cause de sa froideur.

— Mais pourquoi, comte, pourquoi ? s’écria-t-elle presque en se rapprochant de lui involontairement… Pourquoi ? dites-le moi. Vous devez me le dire.