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brillait dans ses yeux et ses lèvres se crispaient en un sourire étrange.

Ce changement qui se produisait en Natacha, d’abord étonna la princesse Marie, et, quand elle le comprit bien, elle en fut attristée. « Ah ! aimait-elle si peu mon frère qu’elle ait pu si vite l’oublier ! » se disait-elle en constatant le changement qui s’était opéré. Mais quand elle était avec Natacha, elle ne lui en voulait pas, ne lui reprochait rien. La force de la vie qui s’éveillait et s’emparait de Natacha était évidemment si involontaire, si inattendue, qu’en sa présence elle sentait n’avoir pas le droit de lui faire le moindre reproche.

Natacha s’abandonnait tout entière et si franchement à ce nouveau sentiment qu’elle n’essayait pas de le cacher, et que maintenant, elle n’était plus triste, mais joyeuse et gaie.

Quand après l’explication, le soir, avec Pierre, la princesse Marie entra dans sa chambre, Natacha la rencontra sur le seuil.

— Il a dit ? Oui ? Il a dit ? répétait-elle.

Et une expression joyeuse et piteuse à la fois, comme si elle eût voulu se faire pardonner sa joie, s’arrêtait sur le visage de Natacha.

— Je voulais écouter à la porte, mais je savais que tu me le dirais.

Si compréhensible et touchant que fût pour la princesse Marie le regard de Natacha, malgré la pitié que lui causait son émotion, au premier mo-