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j’ai peur d’une chose : nous ne parlons pas de lui (le prince André) comme si nous craignions de déflorer nos sentiments et nous l’oublions, dit Natacha.

La princesse Marie soupira lourdement et ce soupir confirmait l’exactitude des paroles de Natacha, mais elle ne partagea pas son avis.

— Est-ce qu’on peut oublier ? dit-elle.

— Je me suis sentie si bien aujourd’hui de raconter tout : c’était pénible mais bon, très bon ; je suis sûre que lui l’aimait réellement. C’est pourquoi je lui ai raconté… Ce n’est pas mal ? demanda-t-elle tout à coup en rougissant.

— À Pierre ? oh non ! Il est si bon !

— Sais-tu, Marie, reprit tout à coup Natacha avec un sourire qui depuis longtemps n’avait éclairé son visage, Pierre est devenu… comment dire… propre, frais, comme s’il sortait du bain… tu comprends… c’est-à-dire au sens moral… n’est-ce pas ?

— Oui, il a beaucoup gagné.

— Et son veston est si court, et ses cheveux rasés, tout à fait comme du bain… comme papa parfois…

— Je comprends que lui (le prince André) n’ait aimé personne autant, dit la princesse Marie.

— Oui, lui aussi est un homme à part. On dit que les hommes sont amis quand ils sont tout à fait différents. C’est sans doute vrai ; n’est-ce pas, qu’il ne lui ressemble pas du tout ?