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Auparavant il ne savait voir en rien le grand, l’incompréhensible, l’infini, il sentait seulement qu’il devait être quelque part et il le cherchait. Près de lui et compréhensibles il ne voyait que des choses bornées, petites, dénuées de sens. Il s’armait de la longue-vue spirituelle et regardait dans le lointain, là-bas, où ces petites choses humaines en se dispersant dans le lointain brumeux, lui semblaient grandes et infinies seulement parce qu’il ne les voyait pas clairement. Telles se présentaient à lui la vie européenne, la politique, la maçonnerie, la philosophie, la philanthropie. Mais même quand il considérait sa faiblesse, son esprit pénétrait dans ce lointain, et il voyait là-bas les mêmes choses petites, humaines, insensées. Et maintenant, il avait appris à voir en tout le grand, l’éternel, l’infini, et, naturellement, pour le voir, pour jouir de sa contemplation, il abandonnait la longue-vue dans laquelle jusqu’ici il avait regardé par-dessus les têtes et contemplait joyeusement autour de lui la vie éternellement changeante, éternellement grande, si incompréhensible et infinie. Et plus il regardait près de lui, plus il était calme et heureux. La terrible question qui autrefois détruisait tous ses raisonnements spirituels : pourquoi ? n’existait plus pour lui. Maintenant, à cette question : pourquoi ? une réponse simple était toujours prête : parce qu’il y a Dieu, ce Dieu sans la volonté duquel il ne tombe pas un cheveu de la tête de l’homme.