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petit, trapu, la joue bandée d’un mouchoir, était plus vigoureux. Il releva son camarade et, en montrant sa bouche, proféra quelques paroles. Les soldats entourèrent les Français, étendirent un manteau pour le malade et apportèrent à tous les deux du gruau et de l’eau-de-vie.

L’officier français défaillant était Ramballe, le soldat bandé d’un mouchoir, son brosseur Morel. Quand Morel eut ingurgité l’eau-de-vie et fini sa petite terrine de gruau, tout à coup il devint gai, maladivement gai, et se mit à parler aux soldats qui ne le comprenaient pas. Ramballe avait refusé de manger et, silencieux, était allongé près du bûcher, appuyé sur la main ; avec des yeux rougis, inexpressifs, il regardait les soldats russes. De temps en temps, il poussait un long gémissement et, de nouveau, se taisait. Morel, en montrant les épaulettes, faisait comprendre que c’était un officier et qu’il fallait le réchauffer.

Un officier russe qui s’était approché du bûcher envoya demander au colonel s’il ne permettrait pas à un officier français de venir se chauffer chez eux. On vint dire que le colonel demandait d’amener l’officier, et l’on pria celui-ci de se lever. Il se leva et voulut marcher mais trébucha et serait tombé si un soldat qui se trouvait près de lui ne l’eût soutenu.

— Quoi ! Ça ne va plus ! fit un soldat s’adressant à Ramballe avec des yeux railleurs.