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que sous Mojaïsk, lorsqu’on a commencé à enlever les morts du champ de bataille, des cadavres français qui étaient là depuis un mois étaient blancs comme du papier propre et sans aucune odeur.

— Quoi ? Ça tient du froid ? demanda l’un.

— Ah ! comme tu es rusé ! Du froid ! T’avais donc chaud ? Si c’était le froid la cause, les nôtres non plus n’auraient pas pourri, et cependant, dit-il, les nôtres sont tout pourris, pleins de vers, il faut se boucher le nez avec un mouchoir, détourner la tête, on les emporte comme ça. Et les leurs, blancs comme du papier, pas la moindre odeur…

Tous se turent.

— C’est probablement leur nourriture, dit le sergent, Ils avaient bâfré la nourriture des maîtres.

Personne ne contredit.

— Ce paysan a raconté qu’au champ de bataille de Mojaïsk, on a envoyé des hommes de dix villages, et pendant vingt jours ils n’ont fait qu’enlever des morts, et encore pas tous. Et il y avait des loups !…

— C’était une vraie bataille ! dit un vieux soldat. Il y a de quoi raconter, et tout ce qui arrive après… ce n’est que de la souffrance pour le peuple.

— C’est vrai, l’oncle. Avant-hier nous les avons rencontrés. Ils n’attendent pas. Tout de suite ils jettent les fusils et à genoux : Pardon, disent-ils, ils font semblant… On a raconté que Platov avait pris deux fois Napoléon lui-même. Il ne sait pas