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le dos le premier soldat qui se trouvait sous sa main. Ne peut-on pas faire moins de bruit !…

Les soldats se turent. Celui que le sergent avait frappé se mit à essuyer son visage qui s’était ensanglanté en s’aplatissant contre la claie.

— Ah ! le diable, comme il frappe ! Il m’a démoli la gueule, chuchota-t-il timidement quand le sergent s’éloigna.

— Tu ne l’auras pas ! dit une voix rieuse.

Et, en modérant le son de leurs voix, les soldats s’avancèrent plus loin. Quand ils eurent dépassé le village, ils recommencèrent à parler fort, entremêlant leurs conversations des mêmes invectives insensées. Dans l’isba devant laquelle passaient les soldats, les chefs supérieurs étaient réunis, et, pendant le thé, causaient avec animation de la journée passée et des futures manœuvres. On proposait une marche de flanc gauche pour couper le vice-roi et le faire prisonnier.

Quand les soldats apportèrent la claie, de divers côtés flambaient déjà les bûchers des cuisines. Le bois craquait, la neige fondait et les ombres noires des soldats glissaient çà et là sur l’espace occupé et piétiné.

De leur côté, les haches continuaient à travailler : tout se faisait sans aucun ordre, on traînait du bois pour la nuit, on installait de petites huttes pour les chefs, on faisait bouillir les marmites, on nettoyait les fusils et les uniformes.