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avec les Français, envoyait des parlementaires exiger la reddition, perdait son temps et ne faisait pas du tout ce qu’on lui avait ordonné.

— Mes enfants, je vous donne cette colonne ! disait-il en s’approchant des troupes et désignant aux cavaliers les Français.

Et les cavaliers, stimulant des éperons leurs chevaux qui pouvaient à peine avancer, armés de sabres, au petit trot s’approchaient de la colonne qu’on leur avait donnée, c’est-à-dire d’une foule de Français gelés et affamés, et la colonne donnée en cadeau jetait les armes et se rendait, ce qu’elle désirait depuis déjà longtemps.

Sous Krasnoié, vingt-six mille Français furent faits prisonniers, on prit des centaines de canons, un bâton quelconque appelé bâton de maréchal, et l’on discuta qui s’était distingué là, et l’on était content, on regrettait seulement de n’avoir pas pris Napoléon lui-même, ou au moins un héros quelconque, un maréchal, et on se le reprochait mutuellement : on le reprochait surtout à Koutouzov.

Ces hommes entraînés par leurs passions n’étaient que les exécuteurs aveugles de la plus triste loi de la fatalité. Mais ils se croyaient des héros et s’imaginaient que ce qu’ils faisaient était l’œuvre la plus digne et la plus noble. Ils accusaient Koutouzov de les avoir, depuis le commencement de la campagne, empêchés de vaincre Napoléon, de ne