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les jours de repos, des subsistances sont nécessaires aux soldats qui sont exténués par la faim et la fatigue ; beaucoup sont morts ces derniers jours sur la route et dans les bivouacs. Cet état de choses va toujours augmentant et donne lieu de craindre que, si l’on n’y porte un prompt remède, on ne soit plus maître des troupes dans un combat.

» Le 9 novembre, à 30 verstes de Smolensk. »

Arrivés à Smolensk, qui se présentait à eux comme une terre promise, les Français s’entretuèrent pour les vivres, pillèrent leurs propres magasins et, quand il ne resta plus rien, ils coururent plus loin.

Tous marchaient ne sachant eux-mêmes où et pourquoi. Le génie de Napoléon le savait encore moins, puisque personne n’ordonnait rien. Cependant, lui et son entourage observaient leurs habitudes anciennes ; on écrivait des lettres, des rapports, des ordres du jour ; on s’appelait : sire, mon cousin, prince d’Eckmühl, roi de Naples, etc., etc. Mais, ordres et rapports n’allaient pas au delà du papier. On ne faisait rien d’après eux parce qu’on ne pouvait rien faire, et malgré les titres de sire, d’altesse, de cousin, qu’ils se donnaient, ils se sentaient petits, misérables, méchants ; ils sentaient qu’ils avaient fait beaucoup de mal, que maintenant il fallait payer. Et ils avaient beau avoir l’air de se soucier de l’armée, chacun ne pensait qu’à soi, au moyen de s’enfuir le plus vite et de se sauver.