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de scènes amusantes vues pendant la marche, et l’on étouffait toute conversation sur la situation actuelle.

Le soleil était couché depuis longtemps ; des étoiles brillantes se montraient de çà, de là, sur la voûte céleste ; le reflet de la pleine lune montante, rouge comme celui d’un incendie, se dissipait à l’horizon et une énorme sphère rouge se balançait étrangement dans la brume grisâtre. Il faisait clair : la soirée était finie, mais la nuit ne commençait pas encore. Pierre se leva et alla parmi les bûchers, de l’autre côté de la route où, lui dit-on, se trouvaient les soldats prisonniers. Il voulait causer avec eux. En franchissant la route, une sentinelle française l’arrêta et lui enjoignit de retourner.

Pierre retourna, mais pas vers les bûchers, vers ses compagnons, mais du côté de la voiture dételée, près de laquelle il n’y avait personne. La tête baissée, en repliant ses jambes il s’assit sur la terre froide, près de la roue de la voiture, et longtemps resta assis immobile et pensif. Plus d’une heure s’écoula ; personne ne le dérangeait. Tout à coup, il éclata de rire, de son bon rire si fort, que des gens regardèrent de tous côtés, étonnés de ce rire étrange, évidemment isolé.

— Ah ! ah ! ah ! riait Pierre ; et il prononçait à haute voix pour lui-même : Le soldat ne m’a pas laissé passer. On m’a attrapé, renfermé. On me