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qui aussitôt levés prennent des joujoux. Il savait faire tout, ni très bien, ni mal : il cuisinait, faisait le pain, cousait, menuisait, faisait des bottes. Il était toujours occupé et seulement à la nuit il entamait des conversations qu’il aimait beaucoup et des chansons. Il ne chantait pas comme ces chanteurs professionnels qui savent qu’on les écoute, mais comme les oiseaux, parce qu’il avait besoin d’émettre des sons comme il avait besoin de s’étirer, de marcher. Et ces sons étaient toujours doux, tendres comme ceux d’une femme triste, et son visage restait sérieux.

Fait prisonnier, la barbe longue, il rejeta de soi tout élément étranger, soldatesque, et, involontairement, revint à son ancien caractère campagnard.

— Le soldat en congé, doit faire sortir la chemise de son pantalon[1], disait-il. Il ne parlait pas très volontiers de son temps de service, bien qu’il ne s’en plaignît pas et répétât souvent qu’au régiment il n’avait pas été battu une seule fois. Quand il racontait, c’était le plus souvent des souvenirs anciens, visiblement chers pour lui, de sa vie de paysan. Les proverbes qui constellaient ses propos n’étaient pas uniquement inconvenants comme ceux qu’emploient les soldats, c’étaient des adages populaires qui, isolément, semblent dénués de sens et qui, tout à coup, décèlent l’expression d’une sagesse

  1. C’est-à-dire redevenir paysan, car le paysan russe porte sa chemise ou sa blouse par-dessus son pantalon. N. d. T.