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que voir et entendre. En lui il n’y avait qu’un seul désir : voir se terminer au plus vite la chose terrible qui devait s’accomplir. Pierre regardait ses camarades et les examinait. Les deux hommes qui étaient à un bout avaient été rasés en prison : l’un était grand, maigre, l’autre brun, velu, musclé, le nez camard ; le troisième était un domestique de quarante-cinq ans, grisonnant, gras et bien nourri ; le quatrième, un paysan très beau, la barbe blonde, large, des yeux noirs ; le cinquième était un ouvrier de fabrique, un garçon pauvre et malingre de dix-huit ans, en habit de menuisier.

Pierre entendit que les Français se concertaient pour savoir s’il fallait en fusiller un ou deux à la fois :

— Deux ! décida froidement l’officier supérieur.

Un mouvement se fit dans les rangs des soldats, tous se hâtèrent, mais non comme on se hâte pour accomplir un acte compris de tous, mais comme on se hâte pour terminer une besogne nécessaire, désagréable et incompréhensible.

Un fonctionnaire français, ceint d’une écharpe, s’avança du côté droit du rang des prisonniers et lut l’arrêt en russe et en français. Ensuite quatre Français, deux par deux, s’approchèrent des criminels et, sur l’indication de l’officier, prirent les deux qui se trouvaient au bout. Les prisonniers s’avancèrent près du poteau, s’arrêtèrent, et pendant qu’on allait chercher des sacs, ils regardaient en