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et sentit le besoin d’exprimer les idées qui l’occupaient. Il se mit à expliquer qu’il comprenait un peu autrement l’amour pour la femme. Il avoua que durant toute sa vie il n’avait aimé qu’une seule femme et que cette femme ne pourrait jamais lui appartenir.

Tiens ! fit le capitaine.

Ensuite Pierre expliqua qu’il aimait cette femme depuis ses plus jeunes années, qu’il n’osait penser à elle d’abord parce qu’elle était trop jeune et que lui n’était qu’un bâtard sans nom, qu’ensuite, quand il reçut le nom et la fortune, il n’osa penser à elle parce qu’il l’aimait trop et la plaçait trop au-dessus de tous et de lui-même. Arrivé à ce point de son récit, Pierre demanda au capitaine s’il le comprenait. Le capitaine fit un geste qui exprimait qu’il ne comprenait pas mais qu’il lui demandait de continuer.

L’amour platonique, les nuages… murmura-t-il.

Était-ce le vin bu, le besoin de franchise, ou la pensée que cet homme ne connaissait et ne connaîtrait aucun personnage de son récit, ou tout cela ensemble, mais la langue de Pierre était déliée. Avec des yeux attendris, en regardant quelque part devant lui, il raconta toute son histoire : son mariage, l’histoire de l’amour de son meilleur ami pour Natacha, la trahison de celle-ci et tous ses rapports simples envers elle. Ensuite, poussé par