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niki sans déjà se rappeler ce qui s’était passé et ne songeant plus qu’à l’avenir. Il allait maintenant vers le pont Iaouski, où, à ce qu’on lui avait dit, se trouvait Koutouzov. En son imagination, Rostoptchine préparait les reproches brefs et acerbes qu’il ferait à Koutouzov pour sa tromperie. Il ferait sentir à ce vieux renard de cour que la responsabilité de tous les malheurs résultant de l’abandon de la capitale, de la perte de la Russie, retomberait sur sa seule tête qui avait perdu l’esprit. En pensant à tout ce qu’il dirait, Rostoptchine s’agitait avec colère dans la voiture et regardait méchamment autour de lui.

Les champs de Sokolniki étaient déserts. Au loin seulement, près de l’hôpital et de la maison d’aliénés, on apercevait des groupes d’hommes en habits blancs et quelques personnes isolées, vêtues de même, qui marchaient dans les champs en causant et agitant les bras.

L’un d’eux courut en coupant la route devant la voiture de Rostoptchine. Le comte lui-même, son cocher et ses dragons, tous regardaient avec un sentiment vague d’horreur et de curiosité ces fous délivrés et surtout celui qui courait vers eux.

Ce fou, sur de longues et maigres jambes vacillantes, en robe flottante, courait rapidement et fixait ses yeux sur Rostoptchine en lui criant quelque chose d’une voix rauque et lui faisant signe d’arrêter.