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fallait être charitable comme les czars. Et, pour toucher définitivement le cœur des Russes, comme chaque Français qui ne peut s’imaginer rien de sentimental sans mentionner ma chère, ma tendre, ma pauvre mère, il décidait que sur tous ces établissements il ordonnerait d’écrire en gros caractères : Établissement dédié à ma chère mère. Non, tout simplement : Maison de ma mère, se disait-il. « Mais suis-je à Moscou ? Oui, c’est elle, là, devant moi ; mais la députation est-elle si longue à venir ? » pensait-il.

Cependant, dans les derniers rangs de la suite de l’empereur, une discussion à mi-voix, inquiète, avait lieu entre généraux et maréchaux. Ceux qui étaient allés chercher la députation revenaient avec la nouvelle que Moscou était vide, que tous étaient partis. Les visages étaient pâles et émus. Ce n’était pas le fait que Moscou était vide de ses habitants qui les effrayait (malgré toute l’impression que cela leur causait évidemment), ce qui les effrayait surtout, c’était de l’apprendre à l’empereur. Comment, sans mettre Sa Majesté dans cette situation terrible que les Français appelaient ridicule, lui déclarer qu’il attend en vain les Boyards, qu’il n’y a plus qu’une foule d’ivrognes ? Les uns disaient qu’il fallait, coûte que coûte, former une députation quelconque. Les autres discutaient cette opinion et affirmaient qu’il fallait, avec prudence et précaution, apprendre la vérité à l’empereur.