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prince André. Lui seul, de toutes les personnes présentes, évidemment ne désirait rien pour lui, n’avait de haine pour personne, ne désirait qu’une seule chose : voir réaliser le plan tiré de la théorie, fruit des années de travail. Il était ridicule, désagréable, avec son ironie, et, en même temps, il inspirait le respect involontaire par son dévouement infini à une idée. En outre, dans les paroles de tous ceux qui parlaient, sauf Pfull, il y avait un trait commun qui n’existait pas au conseil de la guerre en 1805 : C’était, bien que dissimulée, la peur, la panique devant le génie de Napoléon ; elle s’exprimait à tout propos. On supposait que tout était possible à Napoléon ; on l’attendait de tous côtés et, avec son nom redoutable, on détruisait les suppositions de chacun. Pfull seul paraissait tenir Napoléon pour le même barbare que tous ceux qui combattaient sa théorie. Mais, outre le sentiment de respect, Pfull inspirait au prince André un sentiment de pitié. D’après le ton avec lequel lui parlaient les courtisans, d’après ce que Paulucci s’était permis de dire à l’empereur, mais principalement à un certain désappointement dans l’expression de Pfull lui-même, il était évident que les autres savaient et que lui-même sentait que sa chute était proche, et malgré son assurance et l’ironie allemande épaisse, il était à plaindre, avec ses cheveux lissés sur les tempes et bourrus sur la nuque. Évidemment, bien qu’il le cachât sous un air agacé et