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taire lui semblait une insanité, une barbarie, un chaos informe où, de tous côtés, étaient commises tant de fautes, que ces guerres ne pouvaient être appelées guerres, elles ne concordaient pas avec sa théorie et ne pouvaient être l’objet de la science.

En 1806, Pfull était l’un des auteurs du plan de la guerre qui se termina par Iéna et Auerstaedt, mais dans l’issue de cette guerre il ne voyait pas la moindre preuve de l’insuffisance de sa théorie. Au contraire, seuls les écarts de sa théorie étaient cause de tout l’insuccès, et, avec l’ironie joyeuse qui lui était propre, il disait : Ich sagte ja dass die ganze Geschichte zum Teufel gehen werde[1]. Pfull était un de ces théoriciens qui aiment tant leurs théories qu’ils en oublient le but, l’application pratique. Par amour de la théorie ils haïssent toute chose pratique et ne veulent pas s’y abaisser. Il se réjouissait même de l’insuccès parce que l’insuccès dû à des écarts, en pratique, de sa théorie ne faisait que fortifier celle-ci.

Il échangea quelques mots sur la guerre, avec le prince André et Tchernichov, avec l’expression d’un homme qui sait d’avance que tout ira mal et qui n’en est pas trop fâché. Ses mèches de cheveux hérissés sur la nuque et les tempes lissées à la hâte le disaient avec une éloquence particulière.

Il passa dans l’autre chambre et de là retentit le son de sa voix basse et grommelante.

  1. Je l’avais bien dit que tout irait à l’envers.