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ments de Dieu. Elle regarda un peu au-dessus de la tête du prince André d’un regard assuré, habituel, comme on regarde la place connue d’un portrait. — La douleur vient de Dieu et non des hommes. Les hommes n’en sont que l’instrument. Ils ne sont pas coupables. S’il te semble que quelqu’un est coupable envers toi, oublie et pardonne. Nous n’avons pas le droit de punir, et tu comprendras le bonheur de pardonner.

— Si j’étais femme, oui, Marie, je le ferais ; c’est la vertu des femmes, mais l’homme ne doit et ne peut ni oublier ni pardonner.

Et, bien que jusqu’alors il ne pensât pas à Kouraguine, toute la colère non satisfaite se soulevait tout à coup dans son cœur. « Si la princesse Marie me supplie de pardonner, c’est que depuis longtemps je devrais punir, » pensa-t-il. Et, sans répondre à la princesse Marie, il se mit à penser à ce moment heureux où il rencontrerait Kouraguine qui, il le savait, se trouvait à l’armée.

La princesse Marie supplia son frère d’attendre encore un jour. Elle disait sa certitude que leur père serait malheureux s’il partait sans se réconcilier avec lui. Mais le prince André répondit que bientôt, sans doute, il reviendrait de l’armée, qu’il écrirait à son père, tandis qu’en restant maintenant, la querelle ne ferait que s’envenimer.

Adieu, André. Rappelez-vous que les malheurs viennent de Dieu et que les hommes ne