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tance, et qu’il en serait lui-même honteux quand il se ressaisirait.

Balachov, debout, les yeux baissés, regardait les jambes épaisses, tremblantes de Napoléon, et tâchait d’éviter son regard.

— Mais que m’importent vos alliés ! Mes alliés à moi sont les Polonais. Ils sont quatre-vingt mille et se battent comme des lions. Il y en aura deux cent mille.

Et, irrité probablement d’avoir proféré un mensonge aussi évident et de voir Balachov, soumis à son sort, silencieux devant lui, dans la même pose, il se tourna raide et, en faisant un geste énergique et rapide de sa main blanche, il cria presque :

— Savez-vous que si vous entraînez la Prusse contre moi, je l’effacerai de la carte de l’Europe ! Son visage était pâle, défiguré par la colère ; d’un geste énergique il frappait ses mains l’une contre l’autre.

— Oui je vous rejetterai derrière la Dvina et le Dnieper et je rétablirai contre vous ce mur dont l’Europe a été assez aveugle et criminelle pour permettre la destruction. Oui, voilà ce qui vous arrivera. Voilà ce que vous aurez gagné en vous éloignant de moi ! dit-il, et en silence il fit quelques pas dans la chambre ; ses larges épaules tremblaient. Il mit sa tabatière dans la poche de son gilet, l’en tira plusieurs fois, l’approcha de son nez et s’arrêta en face de Balachov. Il se tut, fixa son regard mo-